QUÉBEC, le 16 avril 2021 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec les blessures subies par une femme le 17 novembre 2018 à Montréal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Sûreté du Québec (SQ).

L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. Le procureur a rencontré et informé la personne blessée des motifs de la décision.

Événement

Le 17 novembre 2018 vers 10 h 50, un policier de la SQ, à bord d'un véhicule de patrouille stationné à la sortie du pont Jacques-Cartier, en direction de Montréal, enquête la plaque d'un véhicule. Il constate que celui-ci n'est pas en droit de circuler et que le permis de conduire du propriétaire est sanctionné. Le policier entreprend donc d'intercepter le véhicule. Au coin de l'avenue De Lorimier et de la rue Ontario, il se range à la gauche de celui-ci, baisse sa fenêtre et confirme l'identité du conducteur. Le policier l'informe que son permis de conduire est sanctionné et lui demande de se ranger après l'intersection, ce à quoi le conducteur obtempère.

Une fois le véhicule immobilisé, le policier sort de son véhicule et fait quelques pas vers lui. Le conducteur s'adresse alors brièvement au policier et sans autorisation, reprend sa route sur l'avenue De Lorimier en direction nord. À ce moment, puisque l'homme circule en respectant le Code de la sécurité routière (CSR), le policier éteint les gyrophares et suit le véhicule qui circule ensuite dans les rues avoisinant le pont pour ensuite reprendre De Lorimier vers le nord.

Constatant que le conducteur ne s'immobilise pas tel que demandé, une demande d'assistance est faite au SPVM à 10 h 52 afin de procéder à l'interception du véhicule. Deux véhicules de patrouille de la SQ se libèrent également pour assister leur collègue.

L'un des policiers du SPVM tente alors, sans succès, d'utiliser son véhicule pour bloquer le passage au véhicule fuyard à une intersection. Plusieurs appels de sirène sont ensuite effectués afin de signaler à l'homme qu'il doit s'immobiliser. Celui-ci poursuit toutefois sa route. Les véhicules du SPVM et de la SQ continuent à suivre le véhicule avec sirène et gyrophares alors en fonction.

Le fuyard brûle un premier feu rouge à l'intersection de la rue Marie-Anne et de l'avenue Papineau. Il roule dans la voie inverse sur Papineau et brûle ensuite un second feu rouge à l'intersection de la rue Rachel.

De nouveau, un policier du SPVM tente, sans succès, de bloquer l'accès à la rue Gauthier à l'aide de son véhicule mais le fuyard réussit à emprunter la rue Gauthier en sens inverse.

Ensuite, une autre autopatrouille du SPVM percute à basse vitesse la partie arrière gauche du véhicule fuyard afin de l'immobiliser. Celui-ci réussit cependant à poursuivre sa route.

À l'intersection des rues de Bordeaux et Sherbrooke, un véhicule du SPVM s'immobilise au centre de la rue. Les policiers descendent de leur autopatrouille et au passage du véhicule fautif, utilisent leur bâton télescopique pour tenter de fracasser des vitres du véhicule. Le véhicule fuyard roule sur le pied de l'un des policiers. La vitre du côté conducteur est fracassée par un des policiers au moment où l'homme prend la fuite sur la rue Sherbrooke Est. Le fuyard est suivi par trois véhicules de la SQ et deux véhicules du SPVM, sirène et gyrophares en fonction, circulant à une vitesse approximative de 70 km/h dans une zone de 50 km/h.

Le véhicule fuyard circule alors dans la voie de gauche en direction est et franchit de nouveau une intersection, alors que le feu de circulation est rouge.

Il freine alors brusquement, laissant ainsi croire aux policiers qu'il va tourner vers le nord. Utilisant la voie à sa droite, l'un des policiers du SPVM dépasse le véhicule fuyard, et ce, dans le but de se placer devant lui et de le forcer à ralentir. Une fois le dépassement effectué, le policier ralentit à environ 30 km/h. À ce moment, le suspect tente un dépassement, par la gauche, du véhicule de patrouille se trouvant devant lui, et ce, en utilisant la voie de circulation inverse. Constatant la dangerosité de la manœuvre, le policier ralentit, et au moment où les deux véhicules sont côte à côte, l'homme percute délibérément le véhicule de patrouille du SPVM se trouvant alors à sa droite.

Les deux conducteurs perdent alors la maîtrise de leur véhicule. Le véhicule fuyard poursuit sa course sur le trottoir où il heurte une femme, pour finir sa course dans un lampadaire alors que le véhicule de patrouille percute également un lampadaire. Immédiatement, un autre véhicule de patrouille du SPVM s'approche du véhicule fuyard pour percuter à basse vitesse le côté avant gauche afin d'en prévenir la fuite et d'empêcher l'homme de sortir du véhicule. L'autre véhicule de patrouille du SPVM qui se trouvait derrière le véhicule fuyard vient également emboutir à basse vitesse la partie arrière gauche du véhicule afin d'immobiliser celui-ci.

L'homme sort de son véhicule par le côté passager et semble vouloir prendre la fuite. Il est rapidement maîtrisé au sol et mis en état d'arrestation par plusieurs policiers.

La femme heurtée par le véhicule fuyard est gravement blessée. Le policier passager de l'autopatrouille du SPVM impliquée dans la collision finale a subi quant à lui des lésions corporelles.

La poursuite s'est déroulée sur une distance de plus de 4 km. Elle fut annulée, à deux reprises, à quelques secondes d'intervalle, sur les ondes radio. Ces annulations ont été faites par la sergente du SPVM en charge de celle-ci. Ces annulations sont contemporaines au passage du véhicule fuyard sur la rue de Bordeaux, en direction de la rue Sherbrooke Est.

Or, pendant la cavale du fuyard, plusieurs informations sont transmises simultanément sur les ondes radio et la preuve ne permet pas de déterminer avec certitude si tous les policiers du SPVM impliqués ont pu entendre ou bien recevoir ces annulations.

Au moment où les annulations de poursuite ont été annoncées sur les ondes radio, il est possible de conclure que les deux policiers ayant utilisé leur bâton télescopique (ceux impliqués dans la collision finale) se trouvaient à l'extérieur de leur véhicule.

Une expertise permet de conclure que dans cette zone de 50 km/h, la vitesse maximale atteinte dans les 5 secondes précédant les collisions finales était de 87 km/h pour le véhicule de patrouille et de 80 km/h pour le véhicule fuyard. La scène des collisions finales a été captée par une caméra de surveillance située au service à l'auto d'un restaurant et d'autres caméras permettent de voir les véhicules impliqués dans la poursuite sur la rue Sherbrooke dans les secondes précédant les collisions.

Un expert a procédé à des analyses comparatives d'un morceau du pare-brise fragmenté du véhicule fuyard et de la fourrure synthétique du capuchon du manteau de la femme heurtée. Cette expertise, jumelée à la preuve pertinente au dossier, permet de conclure que c'est bien le véhicule fuyard qui a heurté la femme.

Des accusations ont été portées contre le conducteur du véhicule fuyard et ce dernier a été trouvé coupable de conduite dangereuse à la suite d'un procès qui s'est tenu devant un jury.

Analyse du DPCP

L'infraction de conduite dangereuse, décrite à l'article 320.13 du Code criminel (article 249 au moment des événements) se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.

La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.

Par ailleurs, le CSR contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence ne doit actionner les feux clignotants ou pivotants ou les avertisseurs sonores ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, que dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du Code.

Dans ce dossier, l'intervention initiale était légale. Le policier de la SQ pouvait intercepter le véhicule en raison des infractions au CSR. Par la suite, en raison des passages aux feux rouges et circulation en sens inverse du véhicule fuyard, les policiers étaient justifiés de tenter d'intercepter ce véhicule puisque celui-ci constituait un danger pour la sécurité du public.

Bien que la poursuite policière ait été annulée, il s'agit d'une directive administrative. La continuation de celle-ci à la suite d'une décision d'y mettre fin ne constitue pas en soi une infraction criminelle au même titre qu'une poursuite autorisée ne prémunit pas un policier contre des accusations. Le droit applicable en matière de conduite dangereuse expliquée ci-haut doit être appliqué aux circonstances de la conduite automobile, que le policier agisse ou non dans le cadre d'une poursuite policière. Le contexte de la poursuite doit toutefois être pris en considération dans le cadre de l'analyse.

Dans le cas sous étude, l'ensemble de la preuve au dossier, notamment les caméras de surveillance, les expertises, les déclarations des témoins ainsi que les rapports et déclarations des policiers ne permettent pas de conclure, en regard de la norme juridique applicable, que les policiers impliqués ont commis l'infraction de conduite dangereuse lors de la tentative d'interception.

La vitesse de 87 km/h du véhicule de patrouille peu avant sa collision avec le lampadaire ne peut, dans les circonstances, constituer à elle seule la preuve de la commission d'une infraction de conduite dangereuse. La preuve ne permet pas non plus de conclure que le policier a effectué quelque manœuvre téméraire ou périlleuse pouvant constituer une infraction de conduite dangereuse.

Plus spécifiquement, la preuve démontre plutôt que c'est une manœuvre du véhicule fuyard qui a causé la perte de contrôle des deux véhicules impliqués, occasionnant ainsi trois collisions. Enfin, c'est ce même véhicule fuyard qui a heurté de plein fouet la femme en bordure du trottoir.

Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'un acte criminel par les policiers du SPVM et de la SQ impliqués dans cet événement.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales

Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.

Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.

La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.

La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.

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Dernière mise à jour : 16 avril 2021